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Visite au pays de Réjean Ducharme

Je suis allé me balader dans le quartier où a vécu Réjean Ducharme. Je l’ai fait comme autrefois j’ai erré près de la maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, ou comme, plus récemment, j’ai flâné dans un café de Grantchester jadis fréquenté par une bande de jeunes fous dont faisaient partie Virginia Woolf et E.M. Forster.

Je me suis rendu dans la Petite-Bourgogne mercredi matin. Ce fut la journée que l’été avait choisie pour faire son grand retour. Tout était parfait. Vous savez, ce type de journée à laquelle on voudrait faire prendre la pose… On ne bouge plus, on sourit ! Clic ! Voilà comment on aimerait que ça soit jusqu’au 30 septembre.

Le quartier que l’auteur de L’avalée des avalés avait adopté il y a plusieurs années est métissé. Métissé de superbes maisons de style victorien et d’autres, plus insignifiantes, des années 80 et 90, métissé d’habitants d’origines diverses, métissé de parcs bucoliques et de viaducs bétonnés. Du métissage comme on en trouve seulement dans les romans de Ducharme.

J’ai trouvé sans peine la maison où ont vécu Réjean Ducharme et sa compagne, la comédienne et scénariste Claire Richard, durant quelques décennies. Elle fait partie d’une série d’habitations en rangée datant du début du XXe siècle. Devant la maison, on se dit : tiens, voilà une maison parmi tant d’autres.

La maison comporte deux étages, plus un grenier et un sous-sol. Quelque part sur l’un des paliers se trouvait le bureau de Ducharme, un lieu que peu de gens ont vu. Et quelque part sur l’un des paliers se trouvait son atelier, un endroit dans lequel le sculpteur qu’il fut sous le nom de Roch Plante entassait les objets et détritus qu’il ramassait lors de ses balades quotidiennes et qu’il utilisait pour faire ses fameux « Trophoux ».

Ces promenades, qui duraient deux ou trois heures, guidaient le promeneur bien au-delà des limites de son quartier. « Il marchait toujours en regardant le sol », m’a dit une voisine. Marchait-il ainsi pour éviter de croiser les regards ? Peut-être. Mais aussi sans doute parce qu’il écrivait. La marche est un merveilleux prétexte pour les rêveurs et les créateurs. On écrit, on peint, on sculpte, on crée des parfums et des gratte-ciels en marchant. Pourquoi croyez-vous qu’autant de gens marchent ?

Réjean Ducharme a toujours été un monsieur ordinaire dans l’œil du public. C’est normal, on ne l’a jamais vu. Et les rares photos que nous avons de lui nous le montrent comme un monsieur ordinaire.

Il est fascinant de voir que les voisins qui l’ont croisé pendant de nombreuses années et qui échangeaient avec lui me l’ont décrit comme… un monsieur ordinaire. Ni trop grand ni trop petit, mince et étonnamment jeune pour son âge : tout semblait lui avoir été conçu pour qu’il se fonde dans le décor.

« Il était toujours gentil, mais il parlait peu, m’a confié l’un de ses voisins. En revanche, sa compagne était bavarde. Elle était curieuse de tout. »

Réjean Ducharme avait les cheveux frisés, plus longs que courts, la plupart du temps ébouriffés. « Il paraissait avoir 15 ans de moins que son âge », m’a dit un voisin. Il portait souvent un manteau en nylon qui s’arrêtait à la taille. Il avait toujours un petit sac à dos qu’il utilisait pour transporter les trésors qu’il trouvait dans les rues ou les victuailles qu’il achetait au marché Atwater.

Le marché Atwater, c’était l’endroit préféré de sa chère Claire. Elle s’y rendait presque tous les jours, très souvent en taxi. Lorsqu’elle est morte, en juin 2016, des marchands et des chauffeurs de taxi ont organisé une cérémonie en son honneur. Ils ont dégusté son dessert préféré.

Après la mort de sa compagne, Ducharme s’est fait plus rare. Ce fut son hiver de force.

Plusieurs voisins connaissaient l’identité du créateur du Nez qui voque et de L’océantume. « Oui, on savait cela. On gardait cela pour nous. On avait bien compris que c’était son désir », m’ont dit certains. « Réjean who ? », m’ont dit certains autres. Quant à l’épicier qui se trouve à quelques mètres de la maison de Réjean Ducharme, il n’a jamais entendu ce nom de sa vie.

Ne comptez pas sur moi pour vous donner l’adresse de la demeure où a vécu le plus mystérieux des auteurs québécois. Je sais qu’elle deviendra célèbre un jour. Ce n’est qu’une question de temps.

Je serais hypocrite si je vous disais qu’à l’instar de plusieurs collègues journalistes, je n’ai pas rêvé de rencontrer Réjean Ducharme. Un jour, un ami m’a dit qu’il connaissait des gens qui pouvaient me mettre en contact avec son entourage. Ce projet est tombé à l’eau.

Bizarrement, je crois avoir éprouvé plus de plaisir à découvrir la maison de Réjean Ducharme maintenant qu’il n’est plus là. De toute façon, qu’est-ce que j’aurais bien pu lui demander de son vivant ? « Dites-moi, Monsieur Ducharme… Pour faire tenir vos petits objets sur vos tableaux, vous utilisez de la colle Lepage ou de la Krazy Glue ? Euh… Pour votre pièce Ines Pérée et Inat Tendu, d’où vous est venu ce jeu de mots ? »

Réjean Ducharme est mort il y a bientôt un an, le 21 août dernier, à l’âge de 76 ans. Il a été enterré dans le cimetière de Saint-Félix-de-Valois. Quelques membres de sa famille et une poignée d’amis ont assisté aux funérailles.

Derrière sa maison de la Petite-Bourgogne, il y a un jardin communautaire. Les gens du quartier y viennent pour cultiver des tomates, des concombres et de la ciboulette. Mais pas de pommes de terre, c’est interdit. J’y ai rencontré une vieille dame d’origine anglaise plus adorable que dix Queen Mum réunies. Elle ne connaissait pas Réjean Ducharme. Mais elle m’a parlé de ses plants de framboises jaunes avec beaucoup de fierté.

Côté cour

J’ai quitté la vieille dame anglaise pour aller jeter un coup d’œil à la cour de Réjean Ducharme. Elle est ébouriffée comme lui. D’ailleurs, on m’a dit qu’il utilisait toujours la porte de derrière pour entrer et sortir, jamais celle de devant. Êtes-vous surpris ? Au-dessus de la clôture de bois, un lilas s’est frayé un chemin pour mieux montrer ses fleurs. Ah ! le vaniteux !

Au pied du lilas, une vieille chaise Adirondack et un banc semblent attendre quelqu’un. Un homme est passé tout à coup derrière moi. Il marchait en regardant le sol et portait un sac à dos. Je l’ai suivi.

Nouvelles ducharmiennes

Les gardiens de l’œuvre

Si vous vous inquiétez du sort de l’œuvre de Réjean Ducharme, sachez qu’elle sera en bonnes mains. Monique Jean, amie et liquidatrice de l’auteur, a rassemblé autour d’elle des gens (auteurs, chercheurs, éditeurs, muséologues, gens de théâtre, historiens) qui agiront à titre de gardiens et promoteurs de l’œuvre de Ducharme. Rolf Puls, Lorraine Pintal, Yves Bergeron, Lise Gagnon, Gilles Lapointe, Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert, Élisabeth Nardout-Lafarge et Pascale Galipeau font partie de cet OSBL nommé Les Amitiés ducharmiennes. Des projets seront bientôt annoncés.

Une ruelle en hommage

Rose-Andrée Sauvageau habite à quelques pas de la demeure de Réjean Ducharme. Elle a connu l’auteur, de même que Claire Richard. Cette femme, véritable force de la nature, a lancé le projet de transformer une ruelle qui se trouve à un jet de pierre de la maison de Ducharme et de lui donner son nom. Benoit Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, est au courant de ce projet soutenu par des citoyens et des membres de l’écoquartier de la Petite-Bourgogne. « C’est une excellente idée, m’a-t-il dit. J’aimerais lui donner de l’ampleur. » M. Dorais croit que ce projet n’empêchera pas d’autres lieux d’être nommés en l’honneur de Réjean Ducharme. Le nom de l’auteur est maintenant officiellement reconnu par la Commission de toponymie du Québec.

Un legs au TNM ?

Le Théâtre du Nouveau Monde va tenir mardi une conférence de presse au cours de laquelle on annoncera une importante nouvelle concernant la « succession » de Réjean Ducharme. C’est ainsi qu’est formulé le communiqué de presse. Connaissant l’amour indéfectible de Lorraine Pintal pour l’univers de Ducharme (elle a signé les mises en scène de Ha ha !..., d’Inès Pérée et Inat Tendu et de L’hiver de force), on ne peut qu’imaginer que cette relation sera renforcée et que l’œuvre théâtrale de Ducharme continuera de rayonner. À suivre.

Les mots derrière Le lactume

Markita Boies, merveilleuse interprète de l’œuvre de Ducharme, a eu la très bonne idée de proposer au metteur en scène Martin Faucher la création d’un spectacle autour des dessins du Lactume parus l’an dernier. Seule derrière une table, qui pourrait être celle de Ducharme, la comédienne (trop rare sur nos scènes) nous présente 160 de ces dessins et nous lit les légendes qui les accompagnent. Toute la drôlerie poétique de l’auteur est délicieusement comprimée dans ces perles. Notre bonheur est doublé grâce à des extraits du Nez qui voque, ainsi que des passages musicaux et des mots d’auteurs que Ducharme a aimés. On ressort de ce spectacle l’esprit plus léger. À voir absolument.

Autour du Lactume, ce soir et demain au Théâtre La Chapelle 

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